Ça m’est arrivé quatre fois.
La première fois, ça m’est tombée dessus alors que je m’y attendais le moins.
Assise à la terrasse d’un café parisien, rien dans l’air du printemps naissant ne m’aurait laissé penser que j’étais à quelques minutes d’un effondrement. Je bavardais joyeusement, de tout, de rien, beaucoup des autres et un peu de moi. Un peu plus tôt dans la journée, j’avais pris la ferme décision que les difficultés que j’avais traversé jusque là étaient révolues, et qu’aujourd’hui sonnait pour moi un nouveau départ vers une vie plus simple et plus heureuse. J’avais mis une jolie jupe pour fêter cette décision prise avec moi-même, et rien n’aurait pu me détourner de ma détermination joyeuse de faire de cette vie-là une source d’épanouissement.
Rien, sauf cette phrase qui, sans prévenir, m’annonçait que c’était fini. Cette vie-ci, telle que je la connaissais, dans laquelle toute mon identité s’était moulée, était terminée.
Finie la joie légère, terminée l’optimiste détermination. Le temps s’était comme figé, comme pour m’éviter de me faire broyer par la réalité de cette vie qui s’écroulait.
La douleur m’a rattrapée brutalement une fois le café quitté, et je m’effondrais sur le trottoir, en larmes, salissant cette jupe que je trouvais à présent parfaitement ridicule.
Pendant plusieurs jours, chacun de mes réveils ont pris un plaisir malsain à me rappeler violemment ce que j’avais perdu, et à m’offrir la nette vision de l’effroyable vide devant lequel je me trouvais…
La deuxième fois, ça s’est installé sournoisement. Jours après jours, mois après mois. Dans une vie que je trouvais parfaitement convenable, et pour laquelle j’avais quelques espoirs, un seuil invisible a été franchi. Un matin, pourtant semblable à tous les autres, j’ai pris conscience d’une chose à la fois simple mais d’une implacable vérité : j’allais mal.
Profondément mal. La vie elle-même avait perdu toute sa saveur, et ma joie de vivre n’était plus qu’une lointaine sensation à laquelle je doutais de pouvoir regoûter un jour. Je sentais que tout s’effondrait par la base : mon identité, mon mode de vie, mes attachements et mes passions. Tout ce qui faisait que j’étais moi se disloquait morceau par morceau, sans que je ne comprenne pourquoi ni comment.
J’assistais impuissante à mon propre effondrement…
—-
Ça m’est arrivé une fois encore, et cette année je traverse ma quatrième. Qui n’est sans doute pas la dernière. Parce que la vie est ainsi faite. Faite de ruptures de soi, de changements et de deuils de certitudes.
Ces périodes de vie, qu’elles entrent par effraction ou s’installent insidieusement, viennent bouleverser tout ce qui nous constitue.
À chaque fois, j’ai mis près d’un an à me remettre en mouvement sur une route qui me ressemblait davantage. Ces périodes ont été des années de transition. Plus tout à fait dans ma vie d’avant, mais loin encore d’être dans ma vie d’après. Je flotte alors dans un entre-deux où le passé n’est plus viable et le futur encore inexistant.
—-
Durant ces périodes de transition, aussi semblables qu’incomparables, j’ai eu le temps ressentir diverses façons de vivre le changement, et d’essayer de comprendre ce que je traversais.
Oh certes, des témoignages de changement de vie, de réorientation et de psychologie positive, il y en a à la pelle sur internet et dans les librairies. Dans tous ces récits, on y suit une prise de conscience évidente, quelques doutes, certaines difficultés, puis une révélation qui mène finalement à une vie épanouie, partagée avec moult détails.
Mais ce qui m’intéressait de savoir, c’était ce que ces personnes avaient traversé quand elles étaient au plus bas. Comment avaient-elles vécu la peur, la tristesse, l’incertitude, le fait de ne plus se reconnaître et de ne plus trouver de sens à leur vie ?
Dans la quantité de témoignages, il est facile de trouver des réussites inspirantes, mais il était quasiment impossible de lire des difficultés rassurantes.
Alors j’ai cheminé seule, armée simplement d’un espoir qui m’appelait ailleurs et de quelques lectures dénichées en cours de route. Et c’est le résultat de ce glanage de morceaux de lumière que je vous transmets aujourd’hui, dans l’espoir que ces textes éveillent aussi quelque chose en vous.