Laver ses sous-vêtements ou les draps dans lesquels on dort relève, selon moi, d’un rituel assez intime.
C’est pourquoi les gens ont tendance à garder le silence entre eux à la laverie, même si nous sommes assis côte à côte pendant de longues minutes, bercés par les « toudoum toudoum » des machines à laver.
C’est une manière de respecter l’intimité des autres.
« Vous voulez que je vous aide à plier votre housse de couette ? »
Avec gentillesse, elle sautait allègrement au-dessus de la frontière invisible de l’intimité silencieuse, et, bizarrement, je trouvais que cela tissait un lien immédiat entre nous.
« C’est ma mère qui m’a appris à plier mes draps. Ce sont des choses qui se transmettent. Quoique, aujourd’hui mes petits-enfants ne le font plus vraiment… », continue-t-elle dans un sourire.
Je ris.
« Avec mes grands bras, j’arrive plus ou moins à les plier seule… mais il ne faut pas être trop regardante sur la qualité du pliage !
– Ça fait du bien de vous entendre rire. Les gens joyeux se font rares, tout le monde semble renfermé. Après, je comprends : il y a de quoi de nos jours, mais il y a quand même beaucoup de belles choses et on n’est pas les plus à plaindre… Vous êtes amoureuse ? »
Je marque un temps d’arrêt, hésitant sur la réponse que je souhaite donner à cette inconnue. Je décide de l’épurer, de retirer le complexe superflu, pour ne garder que ce qui compte vraiment :
« Oui, je crois…, lui dis-je avec un regard complice et un sourire de connivence. Ce sont les débuts…
– Oh, c’est super ! Ça tire vers le haut d’être amoureuse. Il faut en profiter, ce sont les meilleurs moments ! Même de l’amour, les gens commencent à avoir peur, à en être frileux. Pourtant, c’est une source de vie et de joie. On ne devrait pas s’en priver, surtout à votre âge. Vous pensez bien qu’au mien, les occasions se font un peu plus rares !
– Mais elles arrivent tout de même, non ? », dis-je en comprenant à demi-mot ce qu’elle souhaite me dire.
Elle conclut dans un clin d’œil :
« Tant qu’on garde notre capacité à voir la beauté du monde et des gens, l’émoi reste toujours possible, quel que soit l’âge. »
Texte par : Emmanuelle Vernay