– Chapitre 2 –
Ce qu’est (vraiment) un changement de vie
Partie 3
La transition : une profonde remise en question identitaire
1. “Rompre pour révéler la personne que l’on veut être” : La question de l’identité.
« Ce que cette crise existentielle met en lumière, c’est la question de notre identité. Au fond, qu’est ce que l’identité ? Existe-t-il un soi profond unitaire, comme une forteresse centrale qui fait que nous restons “nous”, malgré tous les rôles que nous puissions endosser dans notre vie ? Ou notre identité est-elle en réalité quelque chose en constante mutation, faisant que nous ne baignons jamais deux fois dans le même “moi”? »
« Suis-je autre chose que ce que les accidents me font devenir ? Pourquoi croire à un sujet constant, n’y a-t-il pas plutôt une myriade intérieure de personnages qui surgissent au gré des aléas ? Celui que je suis n’est-il pas toujours une surprise ? »
« La notion de cycle de vie rend possible la description de chapitres différents d’une seule et même existence. (…) À chaque âge nous sommes des êtres totaux qui habitent des mondes différents. »
« On parle de « renaissance », de « nouveau départ ». Les expressions ne manquent pas pour exalter cette seconde chance donnée au sujet d’être plus intensément ou plus authentiquement lui-même. Comme si la rupture permettait de s’approcher de soi, d’un soi véritable dont la société, la famille, le monde nous avait éloignés. Dans cette dialectique positive où la rupture nous révèle à nous-même, il y a peut-être une illusion fondamentale. On suppose en effet qu’il existe quelque chose comme un « soi », une identité vraie, celle de l’accomplissement, celle dans laquelle le sujet se réalise dans sa singularité, exprime son individualité, la déploie. Mais cette « nouvelle vie », cette métamorphose du sujet est-elle autre chose qu’une consolation, une reconstruction a posteriori nécessaire pour supporter le drame, pour donner un sens à l’absurdité de la mort, de la maladie, de l’accident ? L’idée de la rupture révélatrice présuppose l’existence d’une esquisse d’être, d’une essence à actualiser, d’une vocation, d’une destinée. La rupture me permettrait d’atteindre le cœur de mon identité, dans la mise à l’épreuve. La douleur aurait un sens et chacun d’entre nous une identité propre. Mais suis-je autre chose que ces ruptures elles-mêmes ? Ne suis-je pas seulement l’effet d’accidents, de hasards, modelé par le monde extérieur ? N’est-ce pas la somme de ces petites ruptures incessantes et inaperçues qui me font devenir tel que je suis ? Nous serions alors plus « rompus » que « rompant », passifs et subissant les fractures de nos existences qui redessinent nos vies. »
« Cependant, ces interprétations supposent qu’il existe un vrai moi, une identité profonde que la pression sociale ou familiale peut enserrer dans une identité qui corsète l’individu jusqu’à l’étouffer. Qu’il y a un vrai et un faux moi. Un vrai visage et un masque. Qu’il y a une forme d’évidence ou de nécessité, qu’on sait intuitivement qui l’on est vraiment. Mais est-ce toujours le cas ? Ne sommes-nous pas faits de la succession de petites ruptures, la juxtaposition d’identités sans lien qui se combinent au gré des circonstances ? Notre identité est-elle autre chose que cet arrangement de fragments d’être que les aléas disposent sans nécessité ni loi ? Pire, n’y a-t-il pas un plaisir, voire un besoin à être profondément multiple, à ne pas être enfermé dans une identité ? »
2. “Je suis devenu d’une inquiétante étrangeté pour mon entourage” : La perception identitaire avec notre entourage.
« Partir, c’est rompre deux fois, avec celui que l’on était et avec une certaine illusion, celle de se sentir à sa place quelque part. C’est renoncer à ce confort psychologique d’être légitime aux yeux des autres. »
« Illusion d’une propriété et d’une proximité, d’une transparence de l’être aimé. La familiarité n’est parfois qu’une impression. Autrui pourra toujours nous surprendre, nous déstabiliser, nous laisser interdit devant ce qu’il a dit ou fait et qui paraissait inimaginable. Non seulement il ne m’appartient pas, mais il peut toujours devenir pure surprise, devenir tout autre, d’une inquiétante étrangeté. »
« Mais le désamour produit un profond ébranlement. Qui est-on encore quand on cesse de nous aimer ? Puis-je perdre les qualités que me conférait l’amour de l’autre sans me perdre moi-même ? « On n’aime personne que pour des qualités empruntées » : selon Pascal, c’est à l’amour des autres que l’on emprunte, dans un jeu de dupes, nos propres qualités. Parfaitement impropres. C’est pourquoi la séparation est cruelle. Soudain, je cesse d’être cette personne attirante, intelligente, généreuse ou drôle. Non pas que je l’aie vraiment été, mais je l’étais à tes yeux. C’est la certitude de mon identité qui vacille. L’illusion d’un moi s’évanouit. Qui suis-je encore maintenant que je ne suis plus rien pour toi ? »